8 mars 2017

Martina Cole, la blonde de l'Essex

Martina Cole à Harrogate en 2016
Depuis le temps que je cherchais l'occasion de reparler de Martina Cole... Aujourd'hui, il y en a deux : c'est la journée du droit des femmes, et c'est le 25e anniversaire de la publication du 1er roman de Martina Cole, Dangerous Lady (Une femme dangereuse en français, traduit par Stéphane Carn et republié par Fayard en 2013). Nous l'avions chroniqué ici et en avions profité pour brosser un rapide portrait de ce phénomène qu'est Martina Cole.

Martina Cole a publié plus de 20 romans. Et chacun d'entre eux, immanquablement, se retrouve dès sa sortie à la tête des ventes. Je vous entends d'ici : et alors ? C'est vrai, l'argument n'est pas suffisant. Ce qui est intéressant chez Martina Cole, c'est qu'elle réussit à faire des best-sellers à partir de romans qui parlent des bas-fonds de Londres et de l'Essex : rien à voir avec la chick-lit, l'érotisme de supermarché ou les feelgood books qu'on retrouve aujourd'hui en tête des ventes. Les mauvaises langues disent volontiers que tous ses romans se ressemblent. C'est vrai, ils se passent invariablement dans les mêmes milieux, utilisent le même vocabulaire inventif et fleuri, mettent en scène des femmes maltraitées ou incroyablement gonflées, des hommes lâches, cruels et malhonnêtes. Pour célébrer les 25 ans de carrière de son écrivain star, l'éditeur de Martina Cole a eu une bonne idée. Conscient du fait que pour un lecteur novice, il n'était pas facile de choisir son premier Martina Cole, il a décidé de les classer par thématiques : "Femmes fortes", "Famille", "Prison"...

"J'aurais été un homme, on m'aurait appelé le Irvine Welsh du sud-est... Comme j'étais une femme de l'Essex, et une blonde de surcroît, on ne savait pas quoi faire de moi... Tout le monde croyait que mon succès serait un feu de paille. Vingt-cinq plus tard, je suis toujours là. " Réaliste, bourrée d'humour, Martina Cole s'est faite à l'idée que ses livres ne seraient pas chroniqués dans les colonnes littéraires "sérieuses"... Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur, si l'on peut dire, puisque ses livres ont brassé, depuis le début de sa carrière, quelque 62 millions de livres sterling, un chiffre qui fait d'elle la première auteure d'Angleterre en termes de ventes. Martina Cole, féministe ? Oui, à sa manière, qui n'obtiendra pas forcément le blanc-seing des féministes pur jus puisque ses héroïnes sont souvent soit des victimes, soit des prostituées...

Quand Martina Cole arrive quelque part, on se tait, un moment. Jusqu'à ce qu'elle éclate de son rire inimitable... C'est ce qui est arrivé au festival de Harrogate en 2016. Blondeur et rondeurs en avant, Martina Cole s'installe sur son siège, y prend ses aises, jette un coup d’œil circulaire sur l'assistance, sirote un Perrier et attend la première question, posée par Peter James. Et là, on comprend mieux ce qu'est cette femme : une charmeuse, une maîtresse femme, une drôlesse quoi! Autodérision, sens de l'humour vachard, lucidité et générosité : cette femme-là consacre une partie de son temps à donner gratuitement des cours de "creative writing" en prison. D'ailleurs, c'est dans les bibliothèques des prisons que ses romans sont le plus empruntés. Au moment de la sortie en Angleterre de l'édition spéciale de son premier roman, elle a fait don de 3500 exemplaires reliés à des bibliothèques publiques et à des bibliothèques de prisons. Pour avoir une idée de la personne Martina Cole, de ses expressions, de son accent et de sa voix, jetez un oeil sur cette vidéo, piochée sur la chaîne TV de Peter James, où vous trouverez d'ailleurs beaucoup d'autres interviews d'auteurs.



Dans son roman The Know (en français Jolie poupée, traduit par Marie Ploux, Fayard, 2009), l'héroïne Joanie est prostituée et... mère courage. Elle vit dans un petit appartement de l'East End de Londres, appartement modeste mais propre et impeccablement rangé. Dès les premières pages, on sait à quoi s'en tenir : la police frappe à sa porte, et ça n'est pas pour lui annoncer une bonne nouvelle. Sa petite fille de onze ans, Kira, disparue depuis plusieurs semaines, vient d'être retrouvée. Morte. A partir de là, Martina Cole va nous raconter par le menu la vie de Joanie, de ses trois enfants : la petite Kira, l'aîné Jon Jon, métis à dreadlocks, dealer de son état, dont la carrière est sur la pente ascendante, et une adolescente en révolte, amoureuse d'une sorte de skinhead crypto-fasciste mais plus bête que méchant, complètement paumée. Autour du noyau familial gravitent des acteurs - macs, collègues prostituées, gangsters et dealers - dont l'influence va être plus ou moins perceptible sur la vie des personnages principaux. Martina Cole, au fur et à mesure du déroulement de l'histoire, pose ses pions, fine mouche, et concocte sa stratégie d'auteur et de dramaturge. Les bons, les méchants ? Trop simple... Parmi ses personnages, nombreux sont ceux qui vont changer de visage. C'est que la vie dans l'East End n'est pas précisément facile. Le sens de la hiérarchie et des préséances y est très fort, et celui qui veut s'en affranchir n'est pas au bout de ses peines, ni de ses (mauvaises) surprises. Bien sûr, le sujet du meurtre d'enfant n'est pas facile à assumer : pas évident de garder sa sérénité quand une jeune vie est en jeu... Martina Cole la joue sur le fil du rasoir, ne recule pas devant les écueils de la sensiblerie, elle y va même franco, à vrai dire. On a l'impression de l'entendre dire, de sa voix rauque et avec son accent cockney : "Allez vous faire foutre!" Vu l'habileté de dramaturge de Martina Cole et son sens du dialogue, on comprend que plusieurs de ses romans aient été adaptés avec succès pour la télévision.

Alors évidemment, les critiques qu'on lui adresse souvent sont justifiées : une tendance à la répétition - d'un roman à l'autre, on peut, si on y prend garde, retrouver les mêmes expressions. Une tendance à la redondance : dans Jolie poupée, par exemple, au bout du énième paragraphe sur la bonté, la tendresse et la souffrance de Joanie, on a envie de dire : "Martina, on a bien compris". Du coup, le roman aurait gagné à "maigrir" de quelque 100 pages, c'est sûr. Mais avec ce genre d'auteur, qui est aussi elle-même un personnage de roman, c'est une question d'arbitrage. Avec Martina Cole, la balance penche à coup sûr du côté du cœur, et on lui pardonne volontiers ces faiblesses sans lesquelles elle ne serait pas ce qu'elle est.

Tous les romans de Martina Cole traduits en français ont été publiés chez Fayard ou à L'Archipel, et sont également disponibles en Poche ou chez Folio


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